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« Emergence d’une littérature de l’océan Indien au tournant des Lumières : Bernardin de Saint-Pierre, Parny et Bertin »
L’année 1814 s’ouvre et se referme sur deux disparitions qui touchent à la littérature naissante de l’océan Indien : le décès de Bernardin de Saint-Pierre le 21 janvier et celui d’Evariste Parny le 5 décembre.
La rencontre de ces événements dont nous commémorerons le bicentenaire en 2014 nous invite à réévaluer les conditions qui ont permis cette émergence croisée : l’entrée en littérature d’une aire géographique, celle de l’océan Indien, par l’entremise, d’une part d’un voyageur français y portant ses inquiétudes, ses rêves et ses interrogations, d’autre part d’un natif de l’île Bourbon expatrié à Paris et se lançant dans une aventure poétique aux contours à certains égards révolutionnaires par leur forme et leur audace. Nous ne dissocierons pas de Parny, dans cette réflexion, son compatriote et frère de plume, Antoine Bertin, mort à Saint-Domingue en 1790.
Ces entreprises littéraires, loin d’être des aérolithes, s’enracinent comme il se doit dans un terreau propre au « tournant des Lumières », composé de l’attrait nostalgique pour l’état de nature, d’un sensualisme exacerbé, ainsi que de tout un héritage des combats des Lumières que nos écrivains exploitent à leur manière.
Ce colloque est en lien avec la publication en cours des Œuvres complètes de Bertin et de Bernardin de Saint-Pierre. Celles-ci, en effet fort volumineuses, comptent, outre Paul et Virginie, aussi bien des travaux scientifiques et philosophiques que des projets politiques, des fictions utopiques et des récits de voyages. De même, les œuvres de Bertin et de Parny ne peuvent être réduites à quelques élégies à l’imitation de Properce ou de Tibulle.
Notre hypothèse est que la tension qui travaille ces écrivains entre l’Ici et l’Ailleurs, le centre et la périphérie, constitue une force de renouvellement propre à faire éclater les pratiques et les habitudes de pensée. Le regard décentré que suscite le dépaysement au sein même des espaces entre lesquels s’effectuent les déplacements - dans la réalité ou en imagination, en Europe ou aux îles - permettrait d’interroger les frontières des formes, des codes et des thèmes qu’abordent ces productions subissant de fait la loi d’un métissage forcé.
Nous voudrions montrer selon quelles voies et détours l’expérience individuelle du déracinement vécu par les trois auteurs s’inscrit au cœur de leur écriture, constitue un facteur d’émancipation et de reviviscence des conventions européennes (élégie, utopie, prose et poésie, etc.) et ouvre la porte à un nouvel espace littéraire qui irrigue la vieille Europe de valeurs esthétiques, spirituelles, culturelles et sociales tout en s’y abreuvant. Il s’agirait d’explorer la piste selon laquelle ils permettent, en ces temps coloniaux, de redéfinir le centre, non plus de façon géographique ou politique, mais littéraire. En ce sens, la confrontation de l’ici et de l’ailleurs se double d’une autre opposition fertile : celle de l’expérience intime et d’une écriture codifiée que ces auteurs, chacun à leur manière investissent et renouvellent. L’importance, au tournant des Lumières, à l’aube du siècle romantique, du sentiment et de la sensibilité permet d’interroger différemment les questions d’altérité et d’identité (le créole, l’Européen), d’étrangeté et de familiarité, d’exotisme.
Aussi la réflexion que nous proposons d’ouvrir à l’occasion de ce colloque international abordera ces différentes pistes autour de Bernardin de Saint-Pierre, Parny et Bertin :
- les questions d’ici et d’ailleurs, de centre et de périphérie, d’altérité et d’identité, voire aussi le processus de créolisation ;
- l’ailleurs spatial et l’ailleurs temporel : au sein des œuvres, mais aussi au niveau de leur postérité ;
- le contexte de production et notamment la question du positionnement littéraire de ces auteurs.